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13 décembre 2016 2 13 /12 /décembre /2016 13:35

La villa blanche précédée d’immenses palmiers prenait au soleil couchant des allures de palais colonial et la chaleur presque tropicale donnait à l’ensemble les teintes si particulières d’un roman d’Ernest Hemingway. Des femmes élégantes et bronzées arrivaient en grappes appétissantes et dorées, impeccablement escortées par des hommes habillés de blanc, les pieds nus glissés dans des sandales de toile. On pouvait être à La Havane du temps de Batista ou quelque part en Afrique à l’époque de l’empire français. L’accueil avait une décontraction toute princière, et des tables dressées avec une élégance très éloignée de l’affectation désormais habituelle des fêtes sponsorisées attendaient les invités. Ce premier dîner d’un été que plus personne n’espérait était donné en l’honneur de Jean-Marie Rouart pour qu’il puisse évoquer “ces amis qui enchantent la vie”, auxquels il venait de consacrer un ouvrage anthologie. Personne ne peut donc soupçonner que la scène se déroulait vendredi dernier au coeur de Saint-Tropez, ville désertée par la littérature depuis une bonne quarantaine d’années, lorsque Sagan décida de quitter les bords de la Méditerranée pour trouver refuge en Normandie. D’ailleurs, le soir même, à quelques pas de là, on s’essayait, sans grand succès semble-t-il, à ressusciter les fameuses “soirées blanches” du légendaire Eddie Barclay, qui aimait à changer de femme plus vite encore que de chemise, ce qui lui a donné une place de choix dans l’histoire locale. Une chose est certaine, c’est que lorsque la magie a déserté, aucune incantation, surtout si elles sont prononcées à l’envers par des professionnels de “l’événementiel”, ne peut la décider à revenir sur les lieux qu’elle a abandonnés. Et de fait, ce soir-là, à Saint-Tropez, la fête était là où personne ne l’attendait, c’est-à-dire autour de la littérature. Autant dire que la maîtresse de maison avait pris un risque majeur et que son invitation était presque une sorte de provocation lancée à la figure de la vacuité. C’est donc à pas de loup, alors que le dîner touchait à sa fin, que l’écrivain, à peine défendu par son épée d’académicien, commença à raconter ses souvenirs littéraires et à évoquer certains de ces amis, morts ou vivants, avec lesquels il dialogue plaisamment dans son dernier livre. Ce fut charmant et délicat car la causerie prit fin au moment où les glaces arrivèrent à parfaite température, ni trop froides ni trop fondantes. Ensuite, la fête se poursuivit tard dans la nuit autour de la piscine, d’une chanteuse entraînante et de quelques cocktails parfaitement dosés. Au moment où j’écris cette chronique, alors que la finale de l’Euro 2016 dont la France est obsédée se termine et que les Klaxon se taisent, je me dis que “ces amis qui enchantent la vie” auxquels Jean-Marie Rouart a voulu rendre tout ce qu’ils lui avaient donné ne sont pas nécessairement des footballeurs. Ils sont moins décevants.

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Published by mesperigrinations